Femmes autochtones : 40 ans de luttes

Geneviève Beaudet — Quelles ont été les grandes étapes qui ont jalonné la vie de l’association Femmes autochtones du Québec/Québec Native Women Association entre 1974 et aujourd’hui ? Quels ont été les succès, les moments plus difficiles ?

Viviane Michel — En 1981, après de nombreuses représentations et à la suite d’une requête de Sandra Lovelace, une Indienne sans statut, la Commission des droits de l’Homme de l’ONU a déclaré que l’article 12(1)-b de la Loi sur les Indiens était discriminatoire envers les femmes. L’adoption de la loi canadienne C-31, en 1985, permettant aux femmes indiennes ayant épousé un non-Indien de recouvrer leur statut a été une grande victoire. En 1987, nous avons lancé notre première grande campagne de sensibilisation contre la violence familiale et, en 1992, notre organisme a été reconnu officiellement au sein de la section provinciale de l’Assemblée des Premières Nations. Quant à la difficulté principale, elle est permanente : c’est la relation avec les bailleurs de fonds – qui ont encore une attitude très paternaliste à notre égard.

G.B. — Comment fonctionne le membership à FAQ ?

V.M. — Il y a trois sortes de membres, pour un total de 2400 membres : les femmes autochtones des nations, les membres non autochtones et les organisations. Il faut améliorer notre système, revoir notre constitution, organiser un membership – sur quatre ans peut-être ? L’important est de faire grandir l’organisation, et non pas de recueillir des cotisations !

G.B. — Comment fonctionne l’association ?

V.M. — FAQ est un organisme bilingue à but non lucratif dirigé par un conseil d’administration (CA) composé des directrices de chacune des nations, d’un représentant aîné et d’un représentant pour la jeunesse. Le mandat des directrices de nation est de deux ans.

G.B. — Quelles sont les responsabilités du conseil d’administration ?

V.M. — Présentement, le CA s’occupe surtout d’administration, mais éventuellement les membres du CA vont s’occuper de plus en plus de sensibilisation, d’éducation et de diffusion d’information dans les communautés. Afin d’atteindre cet objectif, nous avons commencé à former les membres du CA sur le militantisme, l’éthique ou le leadership. Ces trois points sont importants, car la thématique de 2014, c’est la gouvernance.

G.B. — Et le personnel ?

V.M.  — Il y a présentement douze employés à FAQ. C’est un personnel très politisé et impliqué. Il y a trois employés administratifs, et les autres ont des dossiers spécifiques : les jeunes, la non-violence, la santé, la justice et sécurité publique, emploi et formation, analyse juridique et politique, environnement et développement durable, et projets spéciaux.

G.B. — Quelles sont les sources de financement de FAQ ?

V.M.  — Notre financement de base provient du gouvernement provincial, soit du Secrétariat aux affaires autochtones (SAA), et nous recevons également du côté fédéral un financement de Patrimoine canadien et des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada. Pour ce qui est des projets en lien avec les postes des coordonnatrices et de leurs différents projets, nous sollicitions l’aide de plusieurs ministères, dont le ministère de la Santé et des Services sociaux, le ministère de la Justice du Québec, le Secrétariat à la jeunesse, etc.

G.B. — Comment fonctionne le bilinguisme à FAQ ?

V.M. — Nous fonctionnons avec la traduction simultanée comme à l’Assemblée des Premières Nations. Je suis moi-même bilingue, je parle le français et l’innu, plusieurs de nos employées ou directrices sont bilingues et plusieurs parlent leur langue.

G.B. — Viviane Michel, vous êtes présidente de FAQ depuis novembre 2012. Parlez-nous du parcours militant, politique et professionnel que vous avez effectué pour en arriver à occuper ce rôle.

V.M.  — Je suis originaire de Mani Utenam. J’ai d’abord été une militante activiste et j’ai manifesté contre le barrage SM3 en 1992. La Moisie est une des plus belles rivières du monde, où vivent les plus beaux saumons ! Avec le barrage, on aurait perdu la flore, la faune, l’environnement. Plus tard, Michelle Audette et moi avons participé à la marche Amun pour la Loi C-3, une bataille pacifique qui a été gagnée pour la réinscription des 40 000 autochtones qui étaient en attente de retrouver leur statut. Au niveau du travail, je suis intervenante de formation spécialisée en violence familiale et en toxicomanie. J’ai siégé au Réseau des maisons d’hébergement pour femmes autochtones du Québec coordonné par FAQ, et nous avons développé de nombreux outils permettant d’adapter aux réalités culturelles des femmes autochtones les services qui leur sont offerts. J’ai travaillé comme accompagnante pour les survivants des pensionnats indiens dans leur processus de guérison et de demande d’indemnisation devant le processus d’évaluation indépendante. J’ai aussi fait plusieurs séjours en forêt pour me ressourcer. Finalement, j’ai été la directrice de la nation innue pendant sept ans pour FAQ. Ensuite je suis devenue vice-présidente, puis présidente.

G.B. — Comment voyez-vous votre rôle de présidente ?

V.M. — Je représente l’organisation, je suis la porte-parole.

G.B. — Quels sont les liens de collaboration entre FAQ et l’Association des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) ?

V.M. — FAQ fait partie de la Table de l’APNQL depuis 2004. Nous avons un siège avec droit de parole, mais sans droit de vote, comme les centres d’amitié et les représentants jeunesse.

G.B. — Et avec l’organisation nationale des femmes autochtones ?

V.M.  — Nous partageons plusieurs dossiers, comme celui des femmes autochtones disparues et assassinées et le dossier de l’emploi et de la formation. La présidente de FAQ a un siège à l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC). Mais ça ne nous empêche pas d’entretenir nos propres liens internationaux et d’être reconnues comme ONG aux Nations unies.

G.B. — Dernièrement, FAQ a participé aux états généraux du féminisme. Parlez-nous de votre collaboration avec la Fédération des femmes du Québec (FFQ).

V.M.  — La FFQ et FAQ ont adopté une Déclaration solennelle de solidarité en 2004, qui a été signée de nouveau en 20121. La question de la double discrimination est importante. Aussi la violence envers les femmes autochtones disparues. Nous luttons solidairement pour les causes sociales qui visent à l’amélioration des conditions de vie des gens.

G.B. — Les femmes autochtones semblent définir le féminisme davantage comme une attitude de revendication anticolonialiste que comme une attitude antipatriarcale typique. Les deux systèmes d’oppression sont-ils reliés, selon vous ? Y a-t-il un féminisme autochtone ?

V.M.  — Ce sont de grandes réflexions ! Nous sommes une organisation qui regroupe des femmes qui défendent le droit des femmes, ce qui ne nous empêche pas d’inclure les hommes, ce qui fait partie de notre culture et de nos communautés. Évidemment une conscience et un leadership ont été éveillés car il y a maintenant 103 femmes élues dans les conseils de bande, sur 250 postes. Les communautés de La Romaine et de Mingan priorisent maintenant l’équité au conseil de bande : deux postes pour les femmes et deux postes pour les hommes.

G.B. — Quels sont vos priorités pour la prochaine année ? Les nouveaux dossiers, les nouveaux projets ?

V.M.  — Du point de vue organisationnel, nos priorités sont : améliorer le membership, mettre à jour notre constitution et travailler sur notre convention collective, car nos employés sont maintenant syndiqués. Nous allons continuer à travailler sur nos dossiers et à organiser des campagnes sur la non-violence, sur les femmes disparues ou assassinées, la santé, les droits des femmes, etc. L’important est d’éduquer, de sensibiliser et de conscientiser les populations allochtones et autochtones afin de tisser des liens pour une meilleure cohabitation. Donc, un cours d’histoire obligatoire et non optionnel doit être fait afin de faire tomber ces préjugés ou ces discriminations. On a un nouveau dossier sur « les femmes et l’environnement », qui vise à étudier les enjeux et l’impact du développement des ressources naturelles sur les femmes. On est rendu à un momentum où l’éducation populaire des réalités des peuples autochtones doit se poursuivre pour faire entendre nos préoccupations, nos réalités, notre histoire. Parmi les nouveaux projets, il y a Kaianishkat (pour les générations futures, de génération en génération), qui vise à renouer avec notre identité, à réparer les liens brisés de notre histoire depuis les pensionnats. De plus, nous collaborons avec l’UQÀM à la mise sur pied d’un cours crédité sur les enjeux et réalités des femmes autochtones qui devrait être disponible en 2015. C’est important de réveiller et d’éduquer les nôtres. On a fait plusieurs recommandations, entre autres que ce soient des autochtones qui donnent les cours.

G.B. — Pour terminer, quels sont vos souhaits pour l’avenir ? V.M. — Que notre existence soit reconnue, avec toutes nos différences. Du respect. Et le droit de choisir et de décider pour nous-mêmes. [1er avril 2014]

Note

1. Déclaration solennelle de solidarité entre la Fédération des femmes du Québec et Femmes autochtones du Québec : (consulté le 14 avril 2014).

Propos recueillis par Geneviève Beaudet

Site web des femmes Autochtones du Québec
http://www.faq-qnw.org/fr


Source: Femmes autochtones : 40 ans de luttes - Presse-toi à gauche !

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